Les assemblées générales annuelles virtuelles pour les émetteurs canadiens : c’est un départ!

Mondial Publication Août 2017

Gouvernance et responsabilité des administrateurs

Contexte général

Avec l’adoption de nouvelles technologies, de nombreux émetteurs envisagent d’employer des moyens de communication électronique pour joindre un plus grand nombre de leurs actionnaires. L’intégration de la technologie aux assemblées générales annuelles (une Assemblée) illustre bien le phénomène. Une assemblée générale annuelle entièrement virtuelle (une Assemblée Virtuelle) est tenue exclusivement au moyen de la technologie en ligne, sans assemblée en personne équivalente. Il faut donc la distinguer de l’Assemblée classique, qui est tenue en personne, mais également de l’Assemblée hybride, qui est tenue en personne et diffusée simultanément en ligne.

Les Assemblées Virtuelles sont de plus en plus fréquentes aux États-Unis. Selon Broadridge Financial Solutions (Broadridge), principal fournisseur de plateformes d’Assemblées Virtuelles, leur nombre s’est accru de 700 % depuis 2010, avec près de 200 Assemblées Virtuelles tenues en 2016. Par exemple, des sociétés comme Ford, Sprint, Intel et Hewlett-Packard ont récemment opté pour une Assemblée Virtuelle. Broadridge a remarqué une plus grande popularité pour ce phénomène au sein des sociétés de technologies et des nouveaux émetteurs.

Très peu d’émetteurs canadiens ont tenu une Assemblée Virtuelle et, à notre connaissance, la majorité des fournisseurs de plateformes d’Assemblées Virtuelles n’offrent pas encore de produits taillés sur mesure pour répondre à leurs besoins. Cependant, Broadridge s’emploie actuellement à adapter sa plateforme américaine pour répondre aux exigences du marché canadien et une compagnie publique canadienne a récemment tenu sa première Assemblée Virtuelle avec l’assistance de Fiducie TSX.1

L’exigence de « communication adéquate »

Les Assemblées Virtuelles sont autorisées aux termes de la plupart des lois canadiennes sur les sociétés, sous réserve généralement i) que les règlements administratifs de la société permettent expressément la tenue de l’Assemblée par moyen de communication téléphonique, électronique ou autre ou ne l’interdisent pas expressément et ii) que ce moyen permette « à tous les participants de communiquer adéquatement entre eux ».2

On ne sait pas encore exactement en quoi consiste l’exigence de « communication adéquate » ni comment les Assemblées Virtuelles pourraient y satisfaire. Afin que le droit du Delaware3 puisse suivre le rythme des avancées technologiques, la Delaware General Corporation Law a été modifiée en 2000 pour permettre aux sociétés de tenir des Assemblées Virtuelles, pourvu que les actionnaires aient « une possibilité raisonnable de participer à l’assemblée [notre traduction] » et de « lire ou entendre les délibérations de l’assemblée essentiellement en même temps qu’elles se déroulent [notre traduction] ». Nous estimons que l’exigence canadienne de « communication adéquate » est plus astreignante que de faire en sorte que les actionnaires aient une possibilité raisonnable de participer aux assemblées.

Avantages

  • Amélioration de l’accessibilité. Grâce à la technologie, les actionnaires peuvent participer à une Assemblée Virtuelle peu importe où ils se trouvent. Ce facteur peut revêtir une importance grandissante, puisque les sociétés et les investisseurs sont de plus en plus présents à l’échelle mondiale. On pourrait objecter que la participation par procuration permet déjà aux actionnaires d’intervenir à l’Assemblée sans y assister physiquement. Cependant, ce type de participation ne se compare pas à la présence réelle, qu’elle soit physique ou virtuelle.
  • Augmentation de la participation des actionnaires. Un plus grand nombre d’actionnaires sont en mesure de participer aux Assemblées Virtuelles. En outre, étant donné qu’un nombre considérable d’émetteurs tiennent leur Assemblée au cours de la même période de l’année, les actionnaires peuvent participer à davantage d’Assemblées s’ils n’ont pas besoin d’assister en personne à chacune d’elles.
  • Réduction des coûts et du dérangement pour les sociétés et les actionnaires. Les Assemblées exigent beaucoup de temps et d’efforts et comportent des frais importants. Dans le cas des Assemblées Virtuelles, les émetteurs n’ont plus besoin de louer des locaux et les actionnaires n’engagent plus de frais de déplacement. Une Assemblée Virtuelle peut aussi être moins dérangeante en permettant aux participants de reprendre leurs activités normales rapidement.
  • Réduction de l’empreinte carbone. Les Assemblées Virtuelles comportent moins de déplacements pour les membres de la direction, les administrateurs et les actionnaires, ainsi que moins de documents imprimés.
  • Suivi des avancées technologiques. Les émetteurs qui tiennent des Assemblées Virtuelles peuvent donner l’impression d’être à la fine pointe de la technologie, ce qui peut être particulièrement important pour les sociétés technologiques.

Inconvénients

  • Entrave à l’exigence de « communication adéquate ». Un des principaux défis des Assemblées Virtuelles consiste à gérer efficacement les discussions et les délibérations. Étant donné que les questions sont soumises dans un format électronique, le président de l’Assemblée Virtuelle a parfois la possibilité de choisir les questions qui seront traitées. Cette discrétion peut donner lieu à des abus puisqu’en décidant de laisser tomber certaines questions, le président peut influer sur le déroulement de l’Assemblée Virtuelle. Même si la décision de convoquer une Assemblée Virtuelle est prise de bonne foi, la possibilité pour le président de laisser tomber une question peut être interprétée comme un moyen d’empêcher les participants de communiquer adéquatement entre eux, contrevenant ainsi à une exigence légale imposée aux émetteurs constitués en vertu de la plupart des lois canadiennes sur les sociétés.
  • Complications liées à la gestion des interventions des actionnaires. Le président de l’Assemblée Virtuelle peut éprouver des difficultés à gérer efficacement les questions lorsqu’il traite avec un grand nombre d’actionnaires. Il peut également être plus difficile de maintenir l’ordre parmi les participants lorsqu’ils ne sont pas présents physiquement dans une salle. En outre, le sentiment d’anonymat créé par les communications virtuelles peut influer sur la façon dont les actionnaires agissent et réagissent, ce qui risque de diminuer la qualité des discussions et de favoriser les interventions agressives. Finalement, les Assemblées Virtuelles peuvent réduire les interactions personnelles, ce qui peut compromettre la capacité des actionnaires d’évaluer pleinement le rendement de la direction.
  • Traitement de l’opposition des actionnaires. Certains actionnaires peuvent s’opposer à la tenue d’une Assemblée Virtuelle par un émetteur. Par exemple, le contrôleur de la Ville de New York et superviseur de la caisse de retraite de celle-ci, dont les actifs excèdent 170 G$, s’est récemment prononcé contre les Assemblées Virtuelles, demandant instamment aux émetteurs d’abandonner cette pratique.
  • Augmentation du niveau d’incertitude associée au vote des actionnaires. Dans le cadre des Assemblées Virtuelles, un plus grand nombre d’actionnaires sont en mesure de participer et de voter. Dans la mesure où les votes peuvent être effectués en temps réel, les actionnaires sont moins susceptibles de voter par procuration à l’avance, ce qui rend les résultats du vote moins prévisibles.
  • Problèmes reliés aux TI. En cas de problèmes techniques, les Assemblées Virtuelles peuvent être arrêtées ou retardées.

Recommandations

Les émetteurs canadiens qui décident de tenir une Assemblée Virtuelle à l’avenir auront sans doute à faire face à un certain degré de résistance au changement. Ils devront établir des lignes directrices adéquates et des pratiques exemplaires pour faire en sorte que ce choix ne soit pas perçu comme un moyen de limiter la participation des actionnaires en se dissimulant derrière la technologie.

  • Communication adéquate. Les émetteurs qui veulent tenir des Assemblées Virtuelles devront faire d’énormes efforts pour assurer la communication adéquate des actionnaires. Idéalement, ils devront permettre aux actionnaires d’interagir en temps réel entre eux et avec le président de l’Assemblée Virtuelle.
  • Établissement de procédures appropriées. Il faudra établir des procédures transparentes et exhaustives pour l’identification sécuritaire des participants et l’inscription des votes en ligne. Des procédures permettant de poser et de gérer des questions à distance ainsi que d’y répondre à distance devront également être mises en œuvre, comme l’affichage de toutes les questions raisonnables qui sont traitées à l’Assemblée Virtuelle, ainsi que l’organisation et le traitement des questions selon leur objet ou l’ordre dans lequel elles ont été soumises.
  • Choix du moment adéquat. Idéalement, la première Assemblée Virtuelle d’un émetteur devrait porter sur des questions non controversées. La perspective d’une Assemblée ouverte et transparente est particulièrement importante en cas de dissidence importante des actionnaires ou de controverse. Si l’une des questions soumises à l’Assemblée Virtuelle est controversée et qu’aucune procédure adéquate n’a été établie, la décision de tenir une Assemblée Virtuelle peut être perçue comme un moyen d’influencer la participation des actionnaires.
  • Transition progressive. L’émetteur pourrait d’abord convoquer une Assemblée hybride et passer progressivement à l’Assemblée Virtuelle, à l’instar de certaines sociétés américaines. Les émetteurs pourraient également discuter des changements proposés avec leurs actionnaires importants.

Conclusion

Dans la mesure où celles-ci sont soutenues par des procédures exhaustives et une plateforme virtuelle fiable permettant aux participants de communiquer adéquatement entre eux, les Assemblées Virtuelles pourraient être un bon outil permettant d’améliorer l’accessibilité des Assemblées tout en réduisant les coûts et les inconvénients pour les émetteurs canadiens et leurs actionnaires. Le phénomène s’accélère aux États-Unis. Il sera intéressant pour les émetteurs canadiens désirant moderniser leurs pratiques de suivre l’évolution de cette tendance au Canada.

L’auteure désire remercier Charles-Étienne Borduas, étudiant, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.

Footnotes

  1. Concordia International Corp. (TSX : CXR). Pour plus d’informations sur cette première Assemblée Virtuelle, veuillez vous référer au communiqué de presse suivant : https://www.tmx.com/newsroom/press-releases?id=587&lang=fr
  2. Voir le paragraphe 132(5) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, le paragraphe 131(3.1) de la Business Corporations Act (Alberta) et le paragraphe 126(4) de la Loi sur les corporations (Manitoba). Le paragraphe 94(2) de la Loi sur les sociétés par actions (Ontario) ne prévoit pas l’exigence de « communication adéquate ».
  3. Plus de 50 % des sociétés cotées en Bourse aux États-Unis, y compris la majorité des sociétés de la liste Fortune 500, ont choisi le Delaware comme territoire de résidence juridique.


Personnes-ressources

Associé principal, chef canadien, Gouvernance
Associé
Associé
Associée
Associée, directrice principale, gestion du savoir et développement de la pratique
Associé

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